Les Fous de Saint-Antoine traversée rythmique de Lyonel Trouillot (Éditions Henri Deschamps Collection « Cahiers du Vendredi »,1989, préface de René Philoctète[1])
Lyonel Trouillot est né à Port-au-Prince le 31 décembre 1956. Comme beaucoup de ses prédecesseurs, il commence par la poésie, puis il se lance parallèlement dans la critique littéraire, il écrit également des textes de chansons. Professeur de littérature, il est aussi journaliste. Il collabore à différentes revues: Lakansyèl, Tèm, Langaj, etc. Les Fous de Saint-Antoine est son premier roman. Il paraît à Port au Prince chez Deschamps en 1989.
L’histoire se déroule en trois parties: «Saint-Antoine» (p.9), «Dominique» (p.53), «L’envol» (p.79) faisant chacune appel à la caution d’un poète en guise d’épigraphe, se succèdent ainsi Éluard, Baudelaire et Mallarmé. Le «héros» de ce que l’auteur appelle lui-même une «traversée rythmique» se nomme Antoine (Chrisostome Ephémère) Brézeau, et son aventure sans histoire se trouve résumée dans la courbe du vol d’un étrange pigeon blanc[2] qui apparaît à la première ligne du récit pour revenir boucler le conte, à la dernière ligne. Antoine, qui porte le même nom que celui du saint-patron de son quartier («Enfant, Antoine était fasciné par le saint.» p.21) est une sorte de monstre abandonné par sa famille évadée aux États-Unis et confié à une tante Angela, femme forte du quartier Saint-Antoine. Mais le véritable personnage de cette chronique, c’est la petite foule de cet îlot de Port-au-Prince, en pleine période Duvalier : Gédéon le vantard, Marie-Rose la bonne, Caca Clairin le clochard ivrogne détenteur de toutes sagesses, Ti Cadet le mort-trop-tôt, l’épicier et sa femme-matrone, la vieille Hermann cannibale, la tante Angela au caractère de chien, vieille fille sacrifiée, Hermance la langue de vipère, Lumière Rouge, la prostituée forcément au grand cœur, Marco le prêteur sur gages, Carmencita la putain rêvée par Caca Clairin, Timoléon au ventre infernal, Mario l’enquiquineur et Willy l’usurier, les voyous associés, une volée d’enfants rieurs, une vague de vieillards à la dérive, un petit peuple de petit quartier... un grouillement de personnages.
Calmement, Antoine enseigne ce qu’il sait dans son atelier d’alphabétisation où l’a rejoint Dominique, celle qui, enfant, avait don de voyance mais que sa mère avait fait «éteindre» par un breuvage magique, enfant aux pouvoirs châtrés, la fille des beaux quartiers échouée à Saint-Antoine par amour des autres, et par amour, tout simplement pour cet étrange garçon, ce saint qui s’ignore dans son apostolat. Antoine accumule presque tous les défauts physiques mais c’est un être généreux et doux. Dominique se donne à lui malgré les rires des autres. Mais Dominique sera rattrapée par sa famille, en partculier par sa mère, Madame Rivière, habitante de Babiole «orchidées et fougères, flamboyants et roses rouges, leçons de piano et pâtisserie française...» (p.57) et, sans doute, par son éducation: «elle avait grandi à Babiole, dans une maison plus que cinquantenaire, une maison haute entourée d’arbres, vieille demeure majestueuse héritée par son père d’une tante sans progéniture...» (p.57). Dominique «des beaux quartiers», «des fleurs blanches», «des matins frais de la vieille ville», «des fleurs aux branches», Dominique aime Antoine mais ne pourra résister à la terrible pression de ce quartier de fous. Elle ne revient plus, retenue prisonnière : «Dans sa chambre à Babiole, elle regarde voler les pigeons romains que sa mère a payés très cher. Fenêtre ouverte sur ailleurs.» Dominique s’est évaporée. Antoine reste seul dans son quartier, («Déjà, dans sa conscience ailleurs était nulle part. Il se sentait cloué au quartier dont il portait le nom. Pareil au saint. Immobile.»p.22) ce sera sa façon, à lui, de s’envoler, il sait depuis le début de cette histoire qu’il n’est taillé ni pour la liberté, ni pour le bonheur : «l’indépendance est éphémère...» (pp.79, 84) Sous l’œil d’un simple pigeon blanc, auquel un pacte ancien le lie :
«Cette nuit-là, c’est-à-dire une nuit comme les autres, Antoine rêva d’un pigeon blanc avec lequel il fit alliance contre la solitude.» (p.51)
Oiseau neigeux, totem, témoin involontaire, tchulel, psychopompe, envoyé d’un autre monde, de l’autre monde, le seul, en définitive qui soit éternel.
Morbraz
[1] « Contrairement à la vogue, il ne s’engage pas à coups de sentences, de prises de position contre un système politique et social. Dans les coulisses, montreur de marionnettes, il mène les opérations. C’est à vous, spectateur, de fulminer contre l’état de bêtise établi. De fourbir votre conscience et vos armes. »
[2] On retrouve ce même oiseau dans le beau roman de Lilas Desquiron, Les chemins de Loco-Miroir, paru chez Stock en 1990.
J'aime absoluement l'écriture de Lyonel Trouillot. Comment il décrit, avec des traces précis, nets, un caractère, une situation, un quartier ... Humour intelligent. Une découverte pour moi, Espagnole qui ne connaissait rien de la litterature haitienne. J'en ai recherché depuis..
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