dimanche 7 mars 2010

Jacmel au crépuscule de Jean Métellus

Né le 30 avril 1937 à Jacmel (Haïti) où il effectue des études secondaires. Études de Médecine à la faculté de Médecine de Paris. Docteur en médecine en 1970 ; docteur en linguistique en 1975. Médecin des Hôpitaux de Paris, spécialiste qualifié en neurologie. Auteur de nombreuses communications scientifiques à des Sociétés savantes. Président du G.R.A.A.L. (Groupe de Recherches sur les Apprentissages et les Altérations du Langage). Professeur au Collège de Médecine des Hôpitaux de Paris. Président des Journées d'Orthophonie dans le cadre des Entretiens de Bichat ( depuis 1991). Membre actif de l'Académie des Sciences de New York (depuis août 1995).En 2006, il a reçu le Grand Prix international de Poésie de Langue Française Léopold Sédar Senghor, pour l'ensemble de son œuvre et en 2007, le Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres, pour l'ensemble de son œuvre. 
 
Jean Métellus avec Rodney Saint-Éloi, Ouessant, 2004. Photo PhB
Jacmel au Crépuscule, Jean Métellus, NRF Gallimard,

Le premier roman de Jean Métellus que nous allons ouvrir est Jacmel au Crépuscule. Le prologue de ce roman est un poème dont le thème est Jacmel, ville natale de l’auteur, une Jacmel personnifiée, éclairée de rêves et alourdie de cauchemars.
Une fatalité du déclin
                        Métellus entraîne le lecteur vers la singularité de cette culture haïtienne, lui fait découvrir les spasmes et les convulsions de son histoire à travers une chronique, rapportée par Lériné (« je suis une sorte de confesseur et de révélateur » p.26), qu’il situe au milieu des années cinquante. On peut lire ce roman comme une métaphore de la fatalité. Charles Pisquette, ancien « bœuf-chaîne » (homme de peine) dès l’âge de douze ans, homme du peuple débrouillard et curieux –il a appris à lire et à écrire- a la chance de gagner vingt mille dollars à la loterie. Il en fait profiter Ninette, une bonne fille (victime du pasteur, professeur au lycée « qui connaissait la Bible sur le bout des doigts et […] enseignait la rigueur, mais peuplait la ville de ses rejetons »p.29) qui est restée stérile après avoir avorté. Par solidarité avec Ninette, il se convertit au catholicisme et promet à sa maîtresse qu’elle se vengera. Pisquette ne peut l’épouser puisqu’elle ne peut pas avoir d’enfant, en revanche il s’engage à lui conserver son amitié et à la protéger. Il lui achète une maison et un commerce, il acquiert « deux fermes à Saint-Antoine, une autre à la vallée de Jacmel, deux camions qu’il confia à d’anciens collègues » et, pour lui, « une maison en ciment à Jacmel même ». C’est le début d’une ascension prometteuse.
De son côté,Ninette prospère dans son commerce à tel point que la ville l’appelle maintenant Gros Nina. Elle a « fait une concurrence inimaginable aux bourgeois du Bel-Air » (p.93), puis elle a intelligemment bifurqué vers la médecine grâce à sa science des plantes, « un don de famille » (p.93). Elle a même sauvé la fille d’un notable local sans demander de rétribution mais en a obtenu, par la suite, de solides appuis pour l’extension de ses activités commerciales. De plus, elle concocte des potions secrètes auprès desquelles le Viagra semble n’être qu’une plaisanterie (pp.94-98)… elle acquiert de ce fait une indéniable « influence dans la vie politique jacmélienne », et cette science naturelle des plantes fascinera d’ailleurs le docteur Puissant qui lui enverra certains patients. En fait, tous les protagonistes de ce roman forment la congrégation de la classe moyenne en Haïti, la focalisation s’en opère à partir de Pisquette, ex-homme du peuple, homme enrichi, certes, mais jamais dupe. Il se sent la goutte d’huile qui flotte sur l’eau. Et il est le témoin clairvoyant du jeu théâtral que les autres lui jouent.

Petites gens, petits rêves
                        Le mariage de l’opulent Charles Pisquette avec Marie-Thérèse Cardinus (pourtant simple fille de sacristain) réunit tout ce que le microcosme jacmélien peut rassembler d’intellectuels et tous les journaux importants en Haïti relatent cet événement. Suit une description minutieuse des invités qui se déploie en paragraphes successifs en une litanie ironique de rêves petits-bourgeois qui s’égrène. Tous se demandent secrètement comment obtenir de l’argent de Pisquette.
Ce qui gêne les bourgeois qui le fréquentent pour en tirer profit, c’est d’abord son « ascendance modeste », ensuite le fait qu’il ait épousé une femme elle aussi issue d’une famille très simple, qu’il ne manifeste aucunement la volonté de se montrer en qualité de bourgeois lui-même alors qu’il en a largement les moyens financiers, enfin qu’il ne se soit pas laissé influencer par un potentat local sur le point de faire faillite, qui voulait lui faire épouser sa fille, Jocelyne Boréol. Pisquette, à son humble façon, se montre donc un homme libre. Ses rêves sont simples et il les choisit dans la gamme du réalisme. D’ailleurs son Haïti est celle des cartes postales
« Au loin la mer fêtait ce nouveau jour dans ses draps bleus ; et ses cheveux ébouriffés giflaient les crêtes des rochers et s’abîmaient sur les plages, émerveillant les amants, abreuvant le sable et dialoguant avec les cocotiers et les palmiers, tandis que les pêcheurs se délassaient à l’ombre des vœux vannés de leurs rêves sifflés. » (p.190)

Vodou et mauvais augure
                        Mais la réussite des uns provoque immanquablement la jalousie des autres. Un personnage, pourtant, a gardé intacte sa relation avec la nature, une femme qui a su sauvegarder des rapports étroits avec la terre, c’est la mère de Pisquette. Et elle rêve. Et son rêve n’est pas bon.
« Depuis deux mois la mère de Pisquette était inquiète. Elle avait vu en songe un arbre immense, d’une envergure monstrueuse. Son tronc, disait-elle, était plus large que deux maisons. […] L’arbre se dressait, masse de feuillage étonnante, au milieu d’un immense carrefour. Ses racines effrayantes couraient sur la terre qu’elles veinaient. »(p.265)
                        La vieille femme raconte à qui veut l’entendre qu’elle voit sous cet arbre des enfants qui jouent et des adultes qui discutent. Elle reconnaît au milieu d’eux Pisquette et sa femme. Elle décrit l’arbre à plusieurs personnes, il n’y a pas de doute, c’est un « mapou-zombi » (le mapou-zombi est une sorte de baobab, arbre typiquement africain qui abrite logiquement les dieux du vodou, à ne pas confondre avec le mapou banal qui n’est qu’un fromager).
                        « Allez voir à Meyer si ça ressemble à votre rêve. » lui conseille-t-on.
La vieille femme se laissera obséder par ce songe difficile à décrypter. Or, Pisquette a un accident de cheval le jour-même où Marie-Thérèse met au monde ses deux jumeaux Toussaint et Christophe, mais tout semble bien se passer, Pisquette se remet et les bébés sont bien portants. Toutefois le rêve va à nouveau s’imposer et Lériné aidera Mme Pisquette à voir clair dans le message. Charles Pisquette, pris dans la tourmente de la chute de Magloire, sera dénoncé par des envieux, emprisonné à Port-au-Prince et étrangement sauvé par l’intervention de Me Barthoux. Pisquette a été arrêté à l’Hôtel du Grand Arbre. Et il est soigné un peu plus tard à l’Hôtel Carrefour… le rêve avait donc bel et bien un sens prémonitoire, mais c’est Pisquette tout seul qui s’est débattu « dans les cactus du cauchemar, dans les bras de la fumée, dans la rouille du rêve » (p.330). Un autre personnage accède alors à une sorte de rédemption au cours d’une discussion à la fois philosophique et politique avec son fils Justin, c’est Me Barthoux. Lui, refuse de sonder les mystères des rêves, il est devenu trop cartésien, mais sa mère lui avait dit « de faire très attention à [ses] songes »
Et Barthoux accroche son rêve à un sujet solide, Dessalines. Le Père qu’il n’aurait pas fallu tuer…
MORBRAZ

 

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