Fado de Kettly MARS Mercure de France, 112 pages, mai 2008
Le nouveau roman de Kettly Mars paraît, cette fois, au Mercure de France. Le nouvel éditeur a repris l’esprit esthétique que Gilles Colleu avait mis en œuvre pour la couverture de L’heure hybride paru chez Vents d’ailleurs : un portrait flou, estompé, dans les tons brun-roux. Comme un passage de témoin, sans doute. Fado, qui paraît trois ans après, est un contre-point à L’heure hybride roman dans lequel Kettly Mars donnait la parole à un homme jeune qui vivait grâce aux femmes. Ici, c’est une femme qui se dédouble pour mieux parler d’un homme, mais à travers lui, de tous les hommes. Le thème multiple de ce nouveau roman : l’amour inaccompli, la nostalgie du passé, la jalousie, le chagrin de l’existence, Kettly Mars l’a trouvé d’abord dans la musique. « J’ai découvert il y a quelques années, m’a-t-elle dit, la musique du Portugal, cette ‘‘saudade’’ qui chante depuis des lustres la douleur des départs, l’incertitude des traversées, la solitude de l’océan, la nostalgie de l’absence, l’espoir et l’attente du bonheur. Une douleur qui est une façon de vivre, qui lutte contre la fatalité, qui charrie tant de beauté… je me retrouve dans cette musique ».
Écrire, pour Kettly Mars, est une question vitale. Fado a été écrit en peu de temps. Une catharsis. Il lui fallait donner vie à des personnages enfermés dans leurs propres prisons, leur insuffler le besoin de se libérer, de s’échapper, de s’affranchir de leurs liens invisibles, de vouloir retrouver l’innocence première. Tous ces mots tissés fortement avec, en fond sonore, la voix prenante d’Amália Rodrigues, racontent la dérive maîtrisée d’Anaïse, femme délaissée pour une autre par Léo, mari veule et fade mais bel homme, attachant, fragile. Anaïse n’a pas eu d’enfant mais elle accouche tout de même d’un double – une sorte de marassa (jumeau dans le panthéon vodou) - qui prend son relais au moment où elle va sombrer. Ainsi naît Frida, maîtresse femme du bordel que tient Bony dans la basse-ville. À peine si le lecteur sait que la scène est en Haïti. Un créolisme de temps en temps. Un endroit repérable à l’initié. C’est tout. Même constat pour ce qui est de la couleur de peau, le lecteur ne possède ici pratiquement aucune piste. En fait, c’est une femme seule qui se bat dans une ville dure. Et qui se dédouble pour être plus forte.
Récit à la première personne, comme les affectionne Kettly Mars, (c’était déjà le cas pour La nuit hybride), Fado nous entraîne dans le double monde d’Anaïse-Frida. Elle « récupère » Léo qui peut ainsi devenir vraiment son amant. Anaïse a perdu son mari mais Frida domine maintenant totalement son amant. La vie s’équilibre enfin. Jusqu’au jour où – et ici intervient la réalité quotidienne haïtienne – Léo s’est laissé gagner par la peur ressentie par sa femme. D’autant que maintenant, elle a un fils… « Mais la peur glisse sous les portes, traverse les murs. La peur est dans ma peau. On raconte tellement de choses dans la ville »… Léo va partir, là-bas, au Canada. Avec femme et enfant. Anaïse est « je ». Frida est « elle ». Anaïse ne peut rien contre Frida, Frida a pris les commandes de leur vie. Et Frida est une possessive. Elle connaît les bas-fonds, elle connaît des sorciers qui, eux, connaissent la vie et la mort. Et passent de l’une à l’autre. La femme pleurerait mais la femelle veille et agit. Dans l’armoire de Frida brille un joli petit flacon. Bony, le patron a fait du mal à Anaïse, Léo a fait du mal à Anaïse en lui disant qu’il allait partir pour toujours. Il ne faut jamais faire de mal à Anaïse, Frida veille, Anaïse peut dormir sereinement. En écoutant la voix déchirante d’Amália Rodrigues qui éponge toute la douleur du monde.
MORBRAZ
Je viens de relire compère général soleil et fado. Tout un roller-coaster émotionnel. J'aime ce sang qui coule dans nos veines.
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