La Discorde aux Cent Voix d’Émile Ollivier (1986) aux éditions Albin Michel
Je dirai d’emblée que ce roman est, de loin, celui qui m’a semblé le plus intéressant dans la production de cet auteur... et le fait qu’il soit très largement inspiré d’une nouvelle du Péruvien Julio Ramón Ribeyro intitulée Tristes Querelles dans la Vieille Résidence[1] n’est sans doute pas étranger au fait que ce soit -et de loin- son meilleur.
C’est un roman de structure classique respectant la chronologie. On notera que la deuxième partie porte un titre paraphrasant celui de la trilogie de Marie Chauvet Amour, Colère et Folie : «Amour, délice et morgue». C’est la chronique de la rue Kafourel dans la petite ville des Cailles, en majeure partie tenue par un «nous» collectif, représentant quatre adolescents assis sur un muret et qui passent leur temps de vacances à espionner la petite vie de la rue.
«Dans la chaleur torride, ils tuaient le temps. Ils se livraient à d’interminables parties de dominos, guettant les moindres incidents, les transformant en évènements. Ils soupiraient après les petits scandales au point de les provoquer souvent.» (pp.17-18).
Deux personnages s’affrontent : Diogène Artheau, sexagénaire mal embouché, râleur et intellectuel, petit prof «arrivé» par le théâtre et éditeur d’un journal : Qui Vive?, dans lequel il remplit tous les rôles. Il est marié à une beauté de trente ans sa cadette, la douce et délicate Céleste. La maison qu’il habite dans la rue Kafourel est partagée en deux appartements et l’autre partie est habitée par la veuve Carmelle Anselme et sa fille, nymphette quelque peu attardée, Clairzulie. D’entrée de jeu, Carmelle et Diogène se détestent copieusement et la chronique sera, en grande partie, l’évocation d’évènements fruits de cette haine. Un personnage rétablit de temps en temps le cours réel de cette histoire, c’est le docteur Labastille, homme de raison. Diogène bat sa femme, du moins la rumeur l’affirme. Cyprien, l’ex-mari de Carmelle, grand joueur aux combats de coqs, est mort assassiné par un dominicain jaloux. Denys, le fils disparu depuis quinze ans, va revenir chez sa mère. Il a sillonné la terre et est devenu «an american citizen». Carmelle Anselme, de son côté, a tendance à traficoter un tantinet dans les miracles. Au grand dam de Diogène qui rêve, lui, de commercialiser à l’échelle planétaire, le secret de la potion zombi pour la conquête de l’espace.
Carmelle aura fort à faire avec l’évêque Couillard et Diogène avec les labos US. Tout se gâte entre Diogène, plus atrabilaire que jamais, et son épouse Céleste.
Dans la deuxième partie, Diogène se lance dans la rédaction d’un nouveau numéro de Qui Vive? sous les accents de Schubert auxquels réplique la veuve Anselme par un disque de Lumane Casimir. Diogène rêve de virginité du monde et, en même temps d’être blanc et «américain». La guerre des voisins flambe de plus belle. C’est le moment où Denys, le fils prodigue, revient aux Cailles. Diogène commet un libelle violemment antiféministe tandis que les adolescents narrateurs tombent sous le charme de Denys qui leur dit son rêve d’aller dans les étoiles. Celui-ci a un oeil sur les filles et tombe sur celles du tyranneau local, Max Masquini. La rumeur s’en mêle.
Troisième partie, Diogène est violemment pris à partie par une ligue féministe et se venge en écrivant anonymement une longue lettre à Max Masquini dans laquelle il dénonce le fils de sa voisine. Max a pouvoir de vie ou de mort sur tout habitant de la presqu’île. Denys est emmené, or il est citoyen des États-Unis... il disparaît. Les filles du bourreau se voient saisies par la débauche et Max Masquini devient dictateur fou de son territoire : tout est interdit. Le bon docteur Labastille est lui-même inquiété. La veuve achète un coq de Guinée et Diogène écoute La Jeune Fille et la Mort, allusion sans doute à Clairzulie et à son frère Denys, disparu, que l’on retrouvera mort. Madame Anselme a d’ailleurs une autre vision : un cadavre entouré de bandelettes qui se balance, la nuit, dans son fauteuil à bascule. Tout finit par un cyclone.
Quatrième partie, un télégramme tombe chez la veuve, intercepté par Clairzulie et Diogène. La jeune fille le brûle. Arrive la caisse plombée : Denys est mort au Viêt-Nam. L’année-même où l’homme a mis le pied sur la lune. Mario Chivas, l’éplucheur des comptes d’État, s’installe aux Cailles. Le commandant Masquini réussit à lui coller sa fille Lydie. Madame Anselme, trop frappée par la mort de Denys, expire dans l’enfer de la musique de Diogène. Clairzulie dépérit. Le mariage pompeux de Mario Chivas et Lydie capote piteusement : le marié s’est enfui avec la femme de Diogène, Céleste, enfin libérée. Diogène, seul, exténué, se repent du mal fait à Carmelle, sous les ricanements des quatre adolescents narrateurs : Ti Nès, Géto, Dédé et Roro.
Fin des vacances.
morbraz
[1] Tristes Querellas en la Vieja Quinta, première parution à Lima en 1977, dans un volume intitulé Silvio en el Rosedal. On peut lire cette nouvelle dans le recueil intitulé Cuentos, une réédition datant de 1999, paru dans la collection Letras Hispánicas aux éditions CÁTEDRA de Madrid.
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