Passages d’Émile Ollivier (1994) éditions Le serpent à plumes
Court roman divisé en trois parties dont les titres-mêmes marquent bien l’indigence d’originalité : 1/ « Les quatre temps de l’Avent », 2/ « Bonjour les vents! » 3/ « Dans le silence ou la clameur !» sous l’aspect d’une petite édition soignée, presque précieuse, imprimée à Singapour, protégé par une couverture d’un rose enrobant habituellement les lectures fades des dames de province.
Ce n’est pas un roman mais plutôt un mélange de plusieurs récits ponctués de premières personnes du singulier, marques de narrateurs différents, tantôt hommes, tantôt femmes, ce qui contribue à embrouiller le lecteur, même si la louable intention de l’auteur est de jouer sur une métaphore de la complexité d’une prise de conscience claire du problème haïtien selon qu’il est envisagé de l’intérieur par ceux qui vivent dans ce pays, ou de l’extérieur par les exilés. N’est pas spiraliste qui veut !
Survient Leyda, la Canadienne, qui reçoit chez elle, à Montréal, la Cubaine Amparo. Ces deux femmes parlent de Normand, l’exilé haïtien (nationalisé Canadien). En fait, c’est surtout Amparo qui parle, bien que Leyda soit la femme légitime de Normand. Se déroule alors une bluette cosmopolite sans grand intérêt. Tissu sur trame de platitudes. Exil et exilés. Ollivier prend des gants pour parler de l’horreur : jamais il ne dit «macoutes» mais «miliciens» (comme Duvalier !) p.56, il ne dit pas non plus «la flotte de l’envahisseur yankee» mais évoque de très neutres et très floues «flottes américaines» (p.61)... Au chapitre IV, baptisé de manière pléonasmique: «Eldorado de légende», on est à Miami-sur-Eden, en plein rêve du Haïtien moyen et lâche, c’est l’histoire de ce Normand, exilé canadianisé: «Insouciant, le soleil de Miami luit pour tout le monde.» (p.67), voilà du pur style Ollivier. Le «héros» Normand est à l’exacte hauteur de cette platitude et sa Mecque est Montréal. Héros paradoxal, il a fui son pays en danger et passe le reste de sa vie à rêver d’insurrection et de barricades: «mourir dans la rue en pleine révolution, tomber sous les tirs croisés, pris entre deux feux.»(p.73). Un rêveur d’une Haïti reconstruite à sa petite mesure. Normand devient brusquement le narrateur (p.79), technique de métaphore onirique emprunté à ses prédécesseurs, grâce à laquelle un personnage nouveau prend le relais en fondu enchaîné. Jamais l’auteur n’ose écrire Duvalier, mais dit «la Voix de la République» (p.83). Normand est anesthésié par le confort de sa vie nord-américaine tandis que d’autres gens, pendant ce temps, se battent en Haïti, et risquent réellement leur peau. D’autres, fatigués d’attendre un mieux-être, se lancent dans la construction d’un grand bateau pour s’évader de leur île si difficile. Notons au... passage que Brigitte Kadmon, simple habitante de Port-à-l’Écu mais partie prenante dans l’aventure du trois-mâts, cite volontiers Kierkegaard (pp.47 et 112) ! On repart alors dans les méandres de la mémoire d’Amparo la Cubaine (exilée elle aussi), évoquant son amant Normand devant sa femme Leyda... «deux destins s’entrecroisaient...» (p.113), ce qu’elle répète d’ailleurs p.118 au cas où le lecteur inattentif n’aurait pas vraiment mesuré la profondeur de cette notation. Amparo nous dévoile son aventureuse biographie, de son tonton violeur aux ébats avec Normand. Leyda, silencieuse, écoute patiemment. Ollivier ne précise pas «Baby Doc et sa femme, Mrs Bennett...» mais décrit le «couple présidentiel»... (p.132). Le roman-récit tourne franchement à la romance de gare : Passages est la non-aventure de plusieurs non-êtres dont les non-destins «se croisent» artificiellement à Miami. Noelzina aurait été le seul personnage féminin intéressant... elle passe par-dessus bord dans l’expédition de la «Caminante», Amédée aurait été le seul personnage masculin crédible... son corps pourrit contre un mur dans un camp de Miami. Tout est raté, même ce livre. Il est sans doute inutile de préciser que la seule musique mentionnée dans cet opuscule est une symphonie de Schönberg... tout est dit.
MORBRAZ
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