dimanche 10 janvier 2010
Le cri de l'oiseau rouge d'Edwidge Danticat
Petite curiosité en guise de littérature dite haïtienne, livre traduit de l’étasunien :
Le Cri de l’Oiseau Rouge d’Edwige Danticat (Éditions Pygmalion/Gérard Watelet, Paris,1995)
Titre original : Breath, Eyes, Memory (publié par Soho Press, Inc. New-York, 1994)
Traduit (approximativement) de l’anglais (USA) par Nicole Tisserand
La critique états-unienne n’y va pas par quatre chemins en comparant Edwige Danticat, née en 1969 en Haïti, à Toni Morrison ou même à Alice Walker (auteur de The Colour Purple, superbement réalisé par Steven Spielberg en 1985 sur un scénario de Menno Meyjes) ! Nous n’avons ici qu’une traduction car ce texte a été écrit en anglais, mais c’est très suffisant pour ne nous communiquer qu’un enthousiasme mitigé. Il s’agit en fait d’une fade et maladroite bluette assaisonnée à la sauce yankee, une sorte d’Harlequin tropico-états-unien dans lequel le mauvais style fait remarquablement écho au mauvais goût, un contre-livre (fabriqué pour plus de la moitié de dialogues) duquel nous allons tenter de sauver quelques bribes. Ainsi les six dernières pages (278 à 283) sont-elles d’une grande force.
C’est un récit qui semble autobiographique, l’histoire d’une petite fille qui grandit en Haïti, confiée à sa grand-mère et sa tante Atie, celle qui ne sait pas lire et qui en rêve. Elle apprendra, avec Louise, sa meilleure amie, et cette littérature découverte la rendra plus fragile encore. La petite fille ira rejoindre sa mère qui vit aux États-Unis, laissant cette tante adorée au cœur d’une sanglante révolte.
Une histoire de femmes à la peau claire, obsession séculaire.
La couleur, la bonne, est toujours un thème « porteur » :
« Il ôta son tee-shirt blanc. Des filets de sueur mouillaient son torse. Sa peau était marron-clair, comme la mienne et celle de Brigitte. » (p.119)
« Il y avait près de deux ans que je n’avais pas vu ma mère. Sa peau était plus claire qu’auparavant, café au lait, trois ou quatre tons plus pâle que les nôtres. » (p.194) La magie US qui fait blanchir le Nègre !
Quand elle revient au pays, pour une courte visite, elle ramène dans ses bagages le symbole de son nouveau camp :
« Des gratte-ciel de New York pailletés se découpaient sur la poitrine de tante Atie. Au dernier moment, j’avais acheté deux tee-shirts « I LOVE NEW YORK » pour elle et ma grand-mère… » (p.131)
Ce fameux tee-shirt va réapparaître dans le cours du récit, faut-il lui attacher une portée symbolique ? La narratrice a emmené avec elle son bébé, une fille prénommé Brigitte, qu’elle a eu d’un musicien noir, Joseph. C’est la grand-mère qui tient le rôle de personnage pivot du récit, c’est le seul amer véritable, même si elle ne sait pas lire, et qu’elle n’a pas envie d’apprendre puisque sa fille lui envoie de temps en temps des cassettes enregistrées, elle lui raconte ses bribes de vie là-haut. La grand-mère attend, il y a longtemps qu’elle a fait son deuil du printemps et de la joie, elle n’attend plus que du malheur :
« Ma grand-mère se prépara du café très fort, auquel elle ajouta un peu de sel pour préparer son organisme au choc des mauvaises nouvelles. » (p.180)
et la grand-mère attend tandis que la narratrice part « faire du jogging » ! La maman revient sans prévenir et la mère et la fille se parlent en anglais « sans même en avoir conscience »
« - Arrêtez tout ce cling-clang ! intervint ma grand-mère. On dirait qu’on casse des verres. » (p.197)
La mère et la fille finissent par repartir vers leur nouveau pays
« Ma mère ne rencontra aucun problème au comptoir des réservations. Nos passeports américains jouaient en notre faveur. Elle donna vingt dollars à l’employé pour obtenir deux places l’une près de l’autre. » (p.216)
Mais l’aisance financière n’empêche pas le cancer de vous saisir, la mère se sent mal durant le vol
«- C’est encore ton cancer ? lui demandai-je
-Non. C’est le déplaisir d’être en Haïti. Je n’y retournerai que pour y être enterrée. » (p.217)
Or cette mère qui se sent si mal est simplement enceinte, ce qui remue en elle de vieux démons, d’antiques cauchemars, une avalanche d’horreurs dont elle fut témoin et qui lui ont brisé sa vie, lui ôtant toute possibilité de calme même pendant son sommeil envahi de cris et d’images sanglantes. La narratrice, Sophie, est le fruit d’un viol brutal. Elle choisira l’avortement puis finalement le suicide par dix sept coups de couteau rouillé, elle n’est pas morte tout de suite, Marc, son amant a pu recueillir ses derniers mots : « moin pa capab enco ». Le corps est rapatrié en Haïti et le prêtre qui officie se nomme tout naturellement Lavalas. La petite maman repose en paix dans son île déchirée, dans ses beaux habits rouge vif, rouge sang, rouges comme les plumes de l’oiseau cardinal qui crie : « Ou libéré ». Et ça tombe bien : nous aussi.
MORBRAZ
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