dimanche 10 janvier 2010

Encore une mer à traverser, de René Depestre


René Depestre, Encore une mer à traverser, éditions La Table Ronde, Paris, 2005, 202 p., 17 €.

Livre patchwork, Encore une mer à traverser (titre emprunté au Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, p. 63 de l’édition Présence africaine) est la dernière livraison que nous offre René Depestre, « écrivain franco-haïtien, protégé dans son vieil âge d’homme par une juridiction de rêve à la française » tel qu’il se définit en page 187. Livre de mémoire dans sa première partie couvrant pratiquement la moitié de l’ouvrage, « Ainsi parle le fleuve noir », c’est un exercice de lecture actualisée de Bonjour et adieu à la négritude (Éditions Robert Laffont, 1980, puis Seghers, 1989), abordant sous un jour plus facile le mythe de Caliban et les forces du vodou, l’héritage africain et celui des pères fondateurs d’Haïti, l’inventivité du créole haïtien et les avatars de la négritude face à la réalité de la mondialisation… Viennent ensuite deux textes-hommages, l’un à l’adresse de Jacques Roumain, le fondateur du roman haïtien moderne, puis un autre, fort court mais lumineux, dédié à Senghor. Le livre devient ensuite plus polémique s’attaquant à des thèmes d’actualité… Puis suivent poèmes et lettres à la gloire d’autres poètes, comme Léon-Gontran Damas ou Aimé Césaire… Entre essai politique et critique littéraire, analyse historique et auto-justification, entretien parfois savant et affirmation des valeurs militantes de la francophonie, le texte s’éparpille en éclats divers qui font jouer, chacun à leur manière, les facettes multiples du talent de Depestre.
La dernière partie, « La France et Haïti : le mythe et la réalité », écrite en 2004, improvise sur le thème déjà brillamment orchestré par Christophe Wargny (Haïti n’existe pas ! 1804-2004 : deux cents ans de solitude, éditions Autrement, coll. Frontière) :
« Haïti n’existe pas.
Ce n’est pas le canular d’un zombie de la météo politique !
Ce n’est pas le cadavre exquis d’un conte à dormir debout dans le métro de Paris !
Ce n’est pas le raccourci provocateur d’un détracteur des affaires haïtiennes ! »
Depestre décline les rapports chaotiques entre Haïti et la France, mais son analyse rejoint finalement celle de Régis Debray :
« La réflexion de Régis Debray sur les affaires haïtiennes est une perche jamais vue que la France de 2004 tend aux Haïtiens, pour acquitter une dette morale envers eux, loin de la « comptabilité onirique » où M. Jean-Bertrand Aristide avait cru trouver un alibi à son fantastique gâchis ‘lavalassien’ ». (p.146)
Il montre que l’affaire n’est pas nouvelle et convoque aussi les poètes. Nicolas Guillén le Cubain, s’adressant dans un poème de célébration dédié à son ami haïtien Jacques Roumain, se demande
« Quien va a exprimir la insaciable esponja ? »
Je le demande à mon tour,
« Qui va presser l’insatiable éponge »
du naufrage des Haïtiens ? (p.178)
Finalement, Depestre trouve refuge dans la philosophie et s’en remet à Spinoza dont il cite la célèbre et réconfortante formule : « Ni rire ni pleurer, il faut comprendre ».
Mais tout le problème se tient là : après ces deux cents années d’existence suite au coup d’éclat d’une nation d’esclaves, qu’en est-il d’Haïti ? Et Depestre constate, amer mais lucide qu’ « Haïti n’existe pas, parce qu’elle aura manqué les trains de sa propre révolution sociale, pour un surplace hallucinant dans les gares désertes de l’histoire ».
On trouve en fin d’ouvrage des repères biographiques revisités et réactualisés et une bibliographie très complète comprenant l’intégralité des œuvres de Depestre traduites à l’étranger. MORBRAZ

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire