dimanche 10 janvier 2010

Louis-Philippe d'Alembert ou un ovni made in Haïti


Rue du faubourg Saint-Denis de Louis-Philippe Dalembert, Éditions du Rocher, Paris, 177 pages, 18,90 €.

Étrange ovni de la littérature haïtienne voici le dernier roman de Louis-Philippe Dalembert à qui l’on doit déjà Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme et L’autre face de la mer, deux autres romans parus chez Stock. Rue du faubourg Saint-Denis se retrouve ainsi dans une lignée de romans dont Jean Métellus et Gérard Étienne (entre autres) ont déjà fait les frais : une histoire écrite par des Haïtiens mais qui ne fait pas référence au pays. Une sorte de trahison, en somme. En effet, Dalembert met en scène un jeune garçon, Ti-Jean, élevé au grade de narrateur, pendant une période mémorable, l’été 2003, fatale à de nombreux vieillards hexagonaux et parisiens en particulier, abandonnés par leurs propres familles. Ti-Jean, dont l’origine plus que douteuse implique plusieurs continents, se fait son propre film d’une histoire qu’il est en train de vivre. Il se trouve en effet promu au rang de « petit-fils » d’une vieille « gauloise » de la rue du faubourg Saint-Denis. Le synopsis de l’histoire est dressé, Ti-Jean ouvre son propre casting : les stars, les seconds couteaux, les figurants, le décor. Il nous annonce même la mise en scène puis déploie ses séquences : cinq au total, puis nous offre son montage final. Chronique d’une altérité fredonnée, tranches de vie, Dalembert joue avec précision de la focalisation interne, comme d’un zoom précis fixant les scènes du grand angle au 300 mm. C’est donc l’été 2003, canicule blues. Ti-Jean nous prend à témoins, comme s’il avait besoin d’alliés dans sa croisade, et nous raconte son improbable amitié pour la vieille Ma’ame Bouchereau. Nous avons évidemment tous en mémoire les démêlés entre le Momo et la Madame Rosa de La vie devant soi d’Émile Ajar. Gardons-lui ce pseudo même si Romain Gary a fini par craquer. Cet exercice de style inattendu opère son charme et Dalembert offre ainsi son hommage à Gary/Ajar par le truchement de ce jeune garçon déluré usant d’une langue résolument adolescente. Feujs, Pakis, Blacks, Mahométans, Sangattes, Jaunes grouillent dans cette capitale des Gaulois, chacun trimant dans son pré-carré. Ti-Jean, lui, voudrait bien être de quelque part, comme son double, Momo. Thème ajarien, broderie dalembert…

Haïti est-elle si loin ? Rien n’est moins sûr. Elle est là, en effet, tapie sous les vagues des mots. On la retrouve dans l’évocation éclair des repas, riz-haricot, dans les psaumes cités que tout Haïtien natif natal sait évidemment par cœur, dans l’humour badigeonné de truculence, dans les noms-mêmes des acteurs principaux, Ti-Jean célèbre chercheur d’horizon en Caraïbe, et surtout Maman Brigitte, la mère de Ti-Jean certes, mais surtout la gardienne des tombes du panthéon vodou, dont on comprend bien la révolte quand il est question d’incinérer Ma’ame Bouchereau, sa bienfaitrice posthume… Mais ce qui demeure la marque haïtienne de cette écriture romanesque c’est bien le fait de marronner, de s’emparer des signes de cette langue fugitive de la rue, de la laisser évoluer à sa guise en feux d’artifices, de vivifier un argot adolescent jusqu’à le rendre, pour un moment de bonheur de lecture, classique. Avec Rue du Faubourg Saint-Denis, Dalembert nous offre son improvisation jazz sur un thème qu’on croyait clos, et nous entendons une symphonie moderne.

morbraz

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