samedi 9 janvier 2010

Jérémie! Jérémie! de Dominique Fernandez


Jérémie ! Jérémie ! de Dominique Fernandez, Grasset 2005

Encore un roman pas fameux qui a pour cadre une Haïti fantasmée… Mieux vaut lire, quand on s’intéresse vraiment à ce pays, les écrivains locaux : ils écrivent en français, en très bon français, sans le secours douteux du plus-que-parfait du subjonctif. Lisez Gary Victor, Jean-Claude Fignolé, Kettly Mars, Lyonel Trouillot, Yanick Lahens, et quand vous aurez pris assez d’élan, ouvrez un livre de Frankétienne. Voilà de la littérature explosive… le reste est… jérémiades.

Il faut d’abord lire 87 pages, entièrement consacrées à l’Italie… pour arriver en escale à Fort-de-France. Et on n’est pas encore arrivé en Haïti mais on patauge déjà dans un amoncellement de clichés :

« le peu que j’ai aperçu de la Martinique m’a déplu, tant cela ressemble à la Côte d’Azur » (p.95)

Enfin, p. 97 et au XIème chapitre… on parvient à Port-au-Prince, et hop… encore une petite giclée de clichés :

« La ville s’étirait en hauteur. La misère étalée dans les rues jurait avec ce décor magnifique (…). Une touffeur accablante, de nuit comme de jour. (…) La précarité de leur vie quotidienne ne les empêche pas de rire, de chanter, de mordre dans chaque journée avec la même avidité que dans ces fruits somptueux que leur fournit un climat plus secourable que leur gouvernement (…). Quelle différence avec les Français, pensais-je, le peuple le plus nanti de l’univers, et le plus insatisfait ! (p.99)… Je n’osais m’émerveiller trop ouvertement de la beauté de ces façades (p.137)… Songeant à ce que j’avais laissé en France, ce bien-être hargneux crispé sur ses prérogatives, j’étais émerveillé par la joie de vivre de cette population sinistrée (p.144)… je vis des collections d’une richesse fabuleuse (p.153)… son corsage fastueusement rempli, ses hanches d’une non moindre opulence, associés à une taille mince et à une chair drue, forçaient à admirer quelle plante somptueuse s’était régénérée dans le sol d’Haïti (p. 161)… En me détachant de la France bourgeoise et prospère où le souci raisonnable d’être utile et fécond commande les pensées et les actes… (p.163). L’hiver avait succédé à l’automne… (p.162). Quant au massacre de la Saint-Barthélémy ne préfigurait-il pas les grandes purges de Staline ? (p.196)… une population accueillante, aux mœurs douces et amicales, des fruits, des légumes en abondance (p.201)… la dynamite est quelquefois la seule riposte à la dictature de l’argent (p.251)… etc.

En fait, ce roman raconte l’histoire de jeunes gens pleins de fougue qui veulent absolument venir en aide à des Haïtiens qui ne les ont jamais appelés. Ils ne connaissent rien à ce pays. Ils vivent de bribes et de rumeurs. En littérature, ils mettent dans le même sac Depestre et Jacques Stephen Alexis et oublient le géant de cette littérature, Frankétienne (!) : on remarque d’emblée l’absence totale de culture… et on commence à rire. Les erreurs pullulent, mais dès que ça se gâte, nous voici repartis en Russie (Dieu sait pourquoi… des pages entières !) ou revenus en Italie avec des avalas de clichés pseudo-culturel. Le seul détail vraiment amusant de ce roman est la fin. On a vite compris que le narrateur sur le point de se fiancer avec une bourgeoise d’un beau quartier parisien, Karine, et à laquelle il envoie un courriel qu’il nous donne en pâture (p. 93 à 96, rien que ça, quatre pages pleines pour un seul courriel…) n’est allé en Haïti que pour tomber dans les bras d’un jeune russe qui répond (quand on l’appelle) au doux nom de Boris. Il est blond, porte le cheveu long, « large d’épaules et le teint hâlé, il avait la carrure de celui qui a vécu au contact de la terre et travaillé de ses mains ; et plus tard, quand nous sûmes qu’il était originaire d’une famille de bûcherons, dans la lointaine Sibérie, cette découverte nous fit plaisir, en nous confirmant que dans sa douceur presque de fille n’entrait rien d’équivoque. » Ouf… on est donc rassuré. Mais à la fin - voyez comme Baron Samedi joue des tours - Fabrice le narrateur et son bon ami Boris, vont enfin être réunis, main dans la main, par une troupe de joyeux drilles ayant abusé de rhum (et pas n’importe lequel : du Barbancourt *****, produit d’ultra luxe en Haïti… mais on n’est pas à cela près !) munis de gourdins, machettes, et autres instruments ravageurs, en une même bouillie intime sur la place du village. Le Vodou fait toujours œuvre utile. Donc tout est bien qui finit bien. Mais 293 pages pour ça… c’est long.

MORBRAZ

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