samedi 9 janvier 2010

Gary Victor et Les cloches de la Brésilienne

Aujourd’hui (cet aujourd’hui date de trois ans mais est toujours de rigueur) je voudrais écrire un petit mot sur un grand écrivain. Vous ne le connaissez sans doute pas. Ce n’est pas grave, car après avoir lu ce qui suit, ce sera trop tard, vous le connaîtrez. Il est grand par la taille, aux alentours d’un mètre quatre-vingt dix pour un bon quintal. Il est né à Port-au-Prince et il y vit encore. Je ferais mieux d’écrire : « il y survit encore ». Parce qu’il écrit, d’abord, et que là-bas, c’est toujours un peu dangereux. Et en plus il parle. Il anime des émissions de radio un tantinet polémiques car c’est un garçon qui dit à la radio ce que beaucoup de ses compatriotes osent penser tout bas. Et en plus, il habite dans un quartier rude.

Oui, il écrit. Il gratte chaque jour des pages et des pages. Et en plus, ce qu’il écrit est drôle. Voilà un type qui s’entête à habiter dans un pays vraiment explosif alors qu’il a de nombreuses occasions de s’en évader. Il est invité au Canada, en France, en Belgique. Oui, il trouve la vie agréable chez nous, mais il préfère quand même retourner chez lui.

Il est édité en France, chez Vents d’ailleurs, une maison dans le sud, dans les Bouches du Rhône, même, à La Roque d’Anthéron. Il y a là-bas une femme d’exception, Jutta Hepke, qui se bat pour éditer de beaux textes tout droit jaillis des littératures dites « du sud ». Elle s’est même spécialisée dans la littérature haïtienne. Heureusement qu’il existe de tels tempéraments ! Allez jeter un coup d’œil sur le site www.ventsdailleurs.com, ce sera un bol d’air frais !

Mais revenons à notre auteur. Cela fait un bon moment qu’il se cramponne à son stylo. Des années et des années. Après des sketches pour la radio (genre « guignols » mais en drôle), il se lance dans le roman. Les sketches –dit-il- ont été de bons tremplins pour son imagination, à Port-au-Prince, on se souvient de La vi Potoprens, de La politique de Buron sur Radio Métropole. C’est dans ces méandres que sont nés vraiment les personnages d’Albert Buron puis de Sonson Pipirit qui deviendront personnages de romans après leur apparition dans les feuilletons.

En 1990 paraît un roman clé, Clair de Manbo. C’est une affaire lancée. Un vrai romancier commence à tailler sa route. Suivent Le sorcier qui n’aimait pas la neige, puis La piste des sortilèges, un thriller complètement déjanté dans lequel un héros qui ne demandait rien à personne se sent obligé d’aller rattraper son pote qui vient de se faire descendre par des très méchants, le poursuit jusqu’en enfer pour le ramener à la vraie vie qu’il n’avait pas le droit de quitter si tôt. Avec une bonne rasade de vodou (c’est comme ça que ça s’écrit, là-bas, en Haïti). Ce type a bien du talent pour les titres, jugez plutôt : A l’angle des rues parallèles (ça c’est une trajectoire passionnante dans un ou-topos, le « non-lieu » que devient chaque jour un peu plus précisément Haïti), Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin, suivi ou précédé (je ne sais plus avec les bégaiements des éditions tantôt là-bas, tantôt ici…) du Diable dans un thé à la citronnelle. Allez, prenez le dernier paru en main, Les cloches de la Brésilienne, servez-vous un pichet de rhum Barbancourt multiétoilé, et hop, attaquez la première ligne. Vous en avez pour trois heures. Un pur régal. Le rhum est nécessaire, car le maître du jeu est un inspecteur type Columbo tropical, en plus crado, en plus obsédé, en plus désespéré, en complet alcoolo. Et il faut élucider un problème, quelqu’un a volé le son des cloches de l’église de La brésilienne. Pas les cloches, non, ce serait enfantin, mais le son. Seulement le son. L’inspecteur Azémar Dieuswalwé va s’en occuper. C’est très bien écrit, ça palpite, ça jubile, ça éclate. On sort de là tout requinqué, avec l’envie de prendre un billet pour Port-au-Prince direct, rien que pour aller voir de près si tout ça est vrai.

J’y suis allé.

Et… c’est vrai.

J’oubliais. Le nom du magicien entre la vie et la mort dans son quartier pourri. Qui nous faire rire. Gary Victor. Gary Victor : n’oubliez pas ce nom. C’est un vrai grand.

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